Literature and Reality
Journée d’étude
Aux frontières du réel: Littérature et réalité au XXIe siècle
8 juin 2018, University of London Institute in Paris (ULIP), Paris
Argumentaire
De la théorie antique des niveaux stylistiques au réalisme français du XIXe siècle, l’interprétation du réel à travers la représentation littéraire est une thématique ancienne des études sur la littérature (Auerbach 1946, trad. fr. 1968). Plusieurs indices portent à croire que la question a fait l’objet d’une attention renouvelée depuis le début des années 1980. Philippe Hamon répond à la question des manières dont la littérature nous fait croire qu’elle copie la réalité, en analysant les moyens de créer l’illusion encodées par diverses poétiques (Hamon 1982, p. 128). Barthes rappelle que faire du vrai en matière littéraire implique la maîtrise d’une palette de techniques mimétiques producteurs « d’effets du réel » (Barthes 1982), ayant pour fonction de garantir l’authenticité au sein du système textuel. Le discours réaliste obéit donc à des « contraintes spécifiques » (Hamon 1982, p. 127), malgré le fait que l’esthétique réaliste cherche à se faire passer pour un art sans art, « en complète transparence » (Dubois 2000, p. 31). Ainsi, ce qui passe pour le comble de la fidélité réaliste se retourne en comble de l’artifice. La vraisemblance produite par ces effets de style – on notera avec A. Compagnon le flottement terminologique, signe de la relation problématique entretenue entre le texte et la réalité (Compagnon, 1998, p. 112) – permettrait au lecteur d’entrer dans un double-jeu d’immersion et de prise de distance par rapport à la fiction qui se déploie (Schaeffer 1999).
C’est justement cet espace liminaire entre les réalités externe et interne du texte que la production littéraire contemporaine en langue française tente d’investir. Pour Cécile de Bary, la définition du « pacte autobiographique » par Philippe Lejeune (1975) marque un moment essentiel dans la théorisation de « l’interaction que le texte engage », par sa prise en compte d’un pacte de lecture, et ainsi de la réception (de Bary, 2013, p. 8-9). Tout aussi essentiel, le genre de l’autofiction, initié par Serge Doubrovsky en réponse à la théorisation de Lejeune, et qui prit véritablement son essor dans les années 1990, repose sur un propos contradictoire : c’est moi et ce n’est pas moi qui écrit (Genette 1991, p. 87). Une telle évolution s’est accompagnée de la récurrence des termes « brouille » et « brouillage » dans le discours critique, symptomatique de l’association presque inévitable de la fiction avec la réalité (Lavocat 2016).
En se fixant pour objectif d’analyser le rapport entretenu entre littérature et réalité dans la production en langue française des quarante dernières années, la deuxième journée du programme de recherche « Littérature sous contraintes/ Literature under Constraint » (L.U.C.) examinera l’articulation d’un projet littéraire à la proposition au lecteur d’un pacte de lecture d’un nouveau genre, indexé au « réel ». Dans une perspective multidisciplinaire, nous croiserons différentes approches issues des études littéraires et des sciences sociales pour étudier les contraintes spécifiques qu’une telle articulation implique.
L’un des axes principaux de la journée portera sur les projets dédiés à l’écriture de l’époque actuelle (Viart et Rubino 2013), au premier rang desquels les littératures dites de « terrain », que ce dernier soit historique ou social (Dominique Viart). L’intérêt pour le réel peut aussi se manifester par le recours à différentes techniques de prélèvement, de collage et d’assemblage, c’est-à-dire par la place centrale qu’il accorde au document, soit pour l’utiliser soit pour s’en démarquer (Alison James, Paul Aron).
Le renouveau de l’intérêt pour le réel se retrouve aussi au sein d’autres projets littéraires, tant du côté des écrivain.es, comme on le verra à l’analyse des dispositifs internes au texte dans les autobiographies d’écrivaines contemporaines aux démarches et horizons différents (Joane Brueton), que du côté des éditeurs dont le rôle est crucial pour la mise en visibilité de courants littéraires rattachables de prés ou de loin à ce « nouveau réalisme » (Gefen, 2016). Une attention particulière sera à cet égard accordée aux éditions du Seuil, dont la collection « Fiction & Cie » a été pionnière dans la publication de l’autofiction (Hervé Serry), ainsi qu’à Gallimard, à travers l’évocation des processus d’écriture et de publication d’un « roman sans fiction » par son autrice (Anna-Louise Milne).
Programme
09.15 Ouverture de la première journée d’étude par Dominic Glynn (IMLR) et Sébastien Lemerle (Paris-Nanterre)
Matinée
09.30 Hervé Serry (CNRS): Le risque littéraire aux éditions du Seuil. Les débuts de la collection 'Fiction & Cie'
10.45 Joanne Brueton (ULIP): Self-writing machines: manufacturing the real in contemporary female autobiography (Garréta, Sarraute, Ernaux)
11.30 Anna-Louise Milne (ULIP): ‘Entre deux portes', ou quand les contraintes du temps prennent forme dans la ville
12.45 pause déjeuner
Après-midi
13.30 Dominique Viart (Nanterre): Projets et méthodes des littératures de terrain
14.45 Alison James (Chicago): Contraintes documentaires et esthétiques de l’empreinte dans la littérature française contemporaine
16.00 Paul Aron (ULB): Le récit de voyage antidocumentaire
17.15 Table ronde animée par Subha Xavier (Emory) et Jean-Michel Gouvard (Bordeaux)
Vin d’honneur à 18.00
Modérateurs: Patricia Sorel (Nanterre), Chris Clarke (CUNY), Adina Stroia (KCL), Alexandre Gefen (CNRS), Alain Viala (Oxford), Russell Williams (AUP)
Bibliographie
Auerbach, Erich, 1968 (1946), Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris, Gallimard.
Aron, Paul, 2012 « Entre journalisme et littérature, l’institution du reportage », COnTEXTES 11, URL : http://journals.openedition.org/contextes, consulté le 15 décembre 2017.
Barthes, Roland, « L’effet de réel », Littérature et réalité, pp. 81-90, Paris, Seuil.
Compagnon, Antoine, 1998, Le démon de la théorie : Littérature et sens commun, Paris, Seuil.
De Bary, Cécile, 2013, « Introduction », Itinéraires [En ligne], 2013-1 | URL : http://itineraires.revues.org/773
Dubois, Jacques, 2000, Les romanciers du réel. De Balzac à Simenon, Paris, Seuil.
Gefen, Alexandre, 2016, « Le monde n’existe pas : le « nouveau réalisme » de la littérature française contemporaine », in Majorano, Matteo (dir.), L’incoerenza creativa nella narrativa francese contemporanea, pp. 115 – 25.
Genette, Gérard, 1991, Fiction et diction, Paris, Seuil.
Hamon, Philippe, 1982, « Un discours contraint », Littérature et réalité, pp. 119-181, Paris, Seuil.
Lavocat, Françoise, 2016, Fait et Fiction – Pour une frontière, Paris, Seuil.
Lejeune, Philippe, 1975, Le pacte autobiographique, Paris, Seuil.
Milne, Anna-Louise, 2016, 75, Paris, Gallimard.
Rocca, Anna, Reeds, Kenneth, 2013, Women Taking Risks in Contemporary Autobiographical Narratives, Newcastle, Cambridge Scholars Press.
Schaeffer, Jean-Marie, 1999, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil.
Serry, Hervé, 2006, « L’essor des éditions du Seuil et le risque littéraire. La création de la collection “Fiction & Cie” », p. 164-190 in Olivier Bessard-Blanquy (dir.), L’Édition littéraire aujourd’hui, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux.
Viart, Dominique, Rubino, Gianfranco (dir.), 2013, Ecrire le présent, Paris, Armand Colin.